Fruits à noyau, du rôle de l’éditeur
L’innovation variétale est un enjeu stratégique pour la filière fruits à noyau. A cet égard, la France est particulièrement bien dotée avec des opérateurs historiques éminents, toujours très actifs. Sans compter les outsiders, à la fois obtenteurs et éditeurs. Des atouts décisifs à faire valoir dans la concurrence internationale qui fait rage.
Si l’on parle de fruits à noyau et de pêche et nectarine en particulier, au niveau mondial, deux obtenteurs ont marqué les 30 dernières années : il s’agit des Américains Zaiger et Bradford. Ces obtenteurs ont trouvé en Europe des relais dynamiques notamment au travers de l’éditeur Star Fruits. Que celui-ci soit basé en France dans la Drôme n’est pas par hasard : cette situation historique est le reflet de l’intérêt qu’ont toujours manifesté les arboriculteurs de la vallée du Rhône pour l’innovation variétale dans la mesure où celle-ci, par les progrès obtenus en matière de coloration, de forme, de calibre, constituait et constitue encore un argument commercial stratégique. Il faut en outre souligner que même si le système n’était pas parfait, la notion de protection variétale est effective en France, avec en outre l’appui d’institutions garantes de la qualité sanitaire et de l’authenticité du matériel végétal, l’INRA et le Ctifl. Dans ces conditions, les obtenteurs de fruits à noyau pouvaient confier leurs variétés avec un réel espoir de retour sur investissement, ce qui n’était par exemple pas le cas en Espagne où, durant très longtemps, aucun système de protection des obtentions végétales ne protégeait les innovations. La situation était encore différente en Italie où la production n’était guère portée sur l’innovation variétale et s’est longtemps contentée de produire au meilleur prix de revient des variétés éprouvées mais plutôt archaïques vu de ce côté -ci des Alpes. Mais la situation a bien changé depuis et les grands opérateurs italiens du fruit à noyau manifeste désormais un très fort intérêt pour l’innovation variétale. Quant à l’Espagne, l’évolution des conditions de protection des obtentions permet aux obtenteurs et éditeurs de s’y lancer beaucoup plus sereinement que naguère.
Si l’importation de variétés américaines pour les fruits à noyau a largement dominé au cours des années 70 / 80, la situation a commencé à évoluer sensiblement au cours de la décennie 90 avec l’émergence d’obtenteurs français, dont René Monteux-Caillet, dont le programme d’hybridation engagé au début des années 80 a commencé à porter ses fruits. Il occupe aujourd’hui une place majeure dans le paysage de l’innovation en pêches et nectarines. A noter dans ce tour d’horizon de l’obtention française la place particulière du CEP Innovation dont la vocation est d’éditer les créations de l’INRA.
Mais l’obtention de variétés de fruits à noyaux n’est pas une activité calme et sereine. C’est d’abord une affaire de passionnés qui souvent s’investissent sans compter dans un projet nécessairement de longue haleine. Il importe également de souligner que dans les conditions actuelles de rémunération de la création variétale, cette activité est souvent déficitaire si elle n’est adossée à une structure de production de fruits. Ce qui sous-tend qu’il pourrait être urgent d’envisager d’autres modes de développement et de rémunération de l’innovation. D’autant que l’intensité de la création variétale rend l’offre plus pléthorique que jamais et complique la tâche des organisations qui doivent y opérer des choix. On pourrait même dire que c’est un peu « la pagaille » et qu’il pourrait être judicieux d’y mettre enfin bon ordre. Il faut également souligner que, pour importante que soit la génétique, les facteurs agronomiques de culture et de récolte, les conditions de stockage pèsent aussi extrêmement lourd sur la qualité finale du fruit proposé au consommateur. Une variété de bon potentiel organoleptique mal cultivée peut donner un fruit médiocre, alors que de bonnes pratiques de culture peuvent rendre tout à fait acceptable une variété a priori mal dotée. Ce qui signifie qu’il ne suffit pas d’avoir une bonne génétique entre les mains : encore faut-il bien l’utiliser. C’est probablement là que se trouve l’un des principaux enjeux du développement variétal..
La création de Star Fruits en 1968 s’inscrit dans ces mouvements. Il fédère aujourd’hui 4 pépiniéristes français, Cros-Viguier, Pépinières du Val d’Or, Toulemonde et Veauvy. Ce groupe est aujourd’hui leader français de l’édition et de la production de plants de pêcher/nectarinier en France. Il bénéficie ainsi de l’exclusivité européenne des variétés medium chilling de l’éditeur américain Bradford et de l’exclusivité de l’édition des obtentions de René Monteux-Caillet. Il est par ailleurs membre de CEP Innovation, ce qui lui donne accès aux créations INRA (voir le catalogue de Star Fruits)
« L’éditeur pourrait se contenter de chercher à boucher les « trous » dans les gammes actuellement disponibles », introduit Renaud Pierson, directeur marketing de Star Fruits. Et le fait est que ce fut longtemps sa préoccupation majeure. « Cela répond à une logique de massification de la production sur quelque chose de standard éventuellement adossé sur des bonnes pratiques agricoles . Le rôle de la génétique est minoré et la valeur ajoutée qu’elle confère est évidemment limité, dans la mesure où l’on a affaire à une pseudo-évolution variétale ». C’est ainsi que de par les caractéristiques de la reproduction sexuée du pêcher, la plupart des obtenteurs peuvent facilement réutiliser par exemple le pollen de la variété d’un confrère, moyennant quoi, la répétition de ces pratiques amène tous les obtenteurs à travailler sur un matériel génétique très voisin, à se plagier et à produire des variétés assez analogues et substituables.
« Mais une autre logique peut être envisagée, celle de créer une véritable segmentation de la gamme en développant des produits innovants de forte typicité. La gamme Nectavigne® créée par René Monteux-Caillet puis reprise par AC Fruit, et éditée par Star Fruits constitue à cet égard un excellent exemple. L’obtenteur a voulu associer les caractères d’un fruit moderne, la nectarine, avec la typicité d’un produit traditionnel et rustique, la pêche de vigne. Le résultat est donc une nectarine à chair sanguine. Initialement, trois variétés étaient disponibles pour couvrir l’ensemble du mois d’Août, puis la gamme s’est progressivement étendue sur le mois de Juillet. Désormais la démarche s’élargit également à la pêche de vigne à chair rouge (Pêchevigne®), et les deux produits sont associés sous une même appellation, Les Sanguines®. Le potentiel global s’élève à quelques milliers de tonnes, ce qui est peu à l’échelle du marché, mais peut s’avérer quand même stratégique pour les opérateurs concernés, en mal de différenciation face à la montée de la concurrence. Les Sanguines® constitue de fait un excellent exemple de ce que pourrait être demain l’édition variétale en fruits à noyau : une forte implication de l’obtenteur qui fait l’effort d’une sélection encore plus rigoureuse, implication de la production dans un développement cohérent et dans le respect de pratiques agronomiques valorisantes, et une implication non moins forte des Organisations de Producteurs qui sont décideuses des choix variétaux et des volumes à mettre en place.
Une telle démarche pourrait faire école pour le développement d’autres types de fruits très différenciés. Son caractère novateur, la complexité de sa gestion, en rendent la réalisation difficile mais pas nécessairement impossible. « Car ce n’est pas tout de créer de la différenciation, encore faut-il la porter », explique Renaud Pierson qui est par ailleurs acteur de la démarche Pink Lady® pour Star Fruits. « Cela suppose le respect de bonnes pratiques agricoles et une démarche globale de filière respectueuse de la typicité conférée par la génétique. Tous les acteurs doivent y être impliqués. Un cahier des charges de production doit être établi, avec éventuellement une limitation du rendement. En station, un délai maximum de stockage doit être envisagé. Des pratiques spécifiques de mise en marché peuvent être envisagées : ces variétés à forte teneur en sucre peuvent se caractériser par un calibre réduit : il importe par conséquent de repenser la valorisation des petits calibres, voire celle des unités de vente consommateur trop souvent vouées à l’offre de produit 1er prix. Il faut également imaginer une mise en marché partagée par un nombre important d’opérateurs, ce qui impose une vraie prise de responsabilité de chacun de ces acteurs. Au niveau des pépiniéristes, ceux-ci doivent prendre garde à ne pas développer en dehors du projet des variétés aux caractéristiques trop proches. Se pose enfin la question de la dimension internationale d’un tel développement, sachant que la filière française a besoin de se différencier, mais que certains concepts ne peuvent fonctionner que s’ils sont présents sur toute une saison ».
C’est dans cet esprit qu’a été initié le projet Métis® impliquant des prunes américano-japonaises. Issues du programme d’hybridation conduit par Glen Bradford, ces variétés de prunes ont le potentiel génétique pour se différencier dans un marché européen plutôt morose jusque-là. Dès le début ce projet Métis® a associé des partenaires italiens, espagnols et français. L’intérêt est bien sûr de donner une dimension européenne au marché que ce produit ambitionne de capter. Mais surtout, en associant plusieurs bassins de production, l’objectif affiché de construire une gamme cohérente sur une saison complète devient accessible à moyen terme, malgré la multiplicité des difficultés techniques à proposer un produit parfaitement segmenté, clairement identifié, stable, homogène et de haute qualité à partir d’un nombre considérable de variétés.
« Dans l’état actuel des choses, il y a une forte déception du consommateur pour ce qui concerne les fruits à noyau », estime Renaud Pierson. « il y a des réponses, des garanties à construire, qui doivent trouver leur rémunération sur le marché via des concepts marketés et identifiés. Concernant l’obtenteur, il est essentiel de lui trouver des modes de rémunération complémentaires, par exemple sur les fruits vendus, sinon il sera tenté de rechercher d’autres voies de valorisation en s’adressant davantage au marché international ou en cédant des exclusivités à des opérateurs commerciaux, voire à des distributeurs, ce qui ne ferait pas nécessairement l’affaire de la production. S’il fait l’effort de réaliser une sélection beaucoup plus drastique et renonce au développement de certaines variétés, il doit pouvoir se rémunérer correctement sur celles qui seront effectivement développées. Son implication dans la valorisation finale du produit contribuerait à motiver l’effort de sélection et à impliquer également l’éditeur qui doit être bien plus qu’un simple courtier en matériel végétal mais aussi un véritable constructeur de valeur ».